vendredi 3 mai 2013



Source: www.nostalgiereunion.com



Alors que le débat fait encore rage autour du mariage pour tous, c'est un Réunionnais de l'étranger qui vient apporter son témoignage. Franck Marchis est homosexuel, marié et père adoptif de deux garçons. Il vit en famille à San Francisco où il mène une brillante carrière scientifique. Il nous livre sa propre expérience.
Franck Marchis, une fois n'est pas coutume, nous ne vous avons pas contacté pour vos travaux scientifiques mais pour vous interroger sur votre vie privée. Quelle est précisément votre situation ?
Alors je suis marié depuis 2005 avec Jindra, qui est thèque. On s'est marié d'abord au Canada puis plus récemment en 2008 en Californie où on vit aujourd'hui. On fait partie des 18 000 couples de même sexe mariés dans cet état qui a depuis arrêté ces mariages. La situation est un peu bizarre parce que la loi a changé mais la cour de Californie a maintenu la légalité de ces mariages. D'ailleurs il y a beaucoup de recours en ce moment pour faire autoriser de nouveau les mariages de couples homosexuels.
Cela vous donne-t-il exactement les mêmes droits que les couples hétérosexuels ?
Le mariage nous donne les mêmes droits à l'intérieur de l'état de Californie mais pas au niveau fédéral. Par exemple, je paie mes impôts fédéraux comme un célibataire. L'Etat fédéral ne reconnaît pas encore les couples homosexuels.Mais le président Obama a clairement donné son soutien à ce changement durant sa campagne donc il est possible que la loi change bientôt.
Parmi les droits que vous avez obtenu en vos mariant, il y a, on l'imagine, le droit à l'adoption.
Non, alors c'est un peu bizarre en Californie parce que n'importe qui peut adopter. Homme, femme, marié, non marié, homo, hétéro, peu importe. Il y a une loi égalitaire qui interdit toute discrimination sur l'adoption*. Il y a beaucoup d'enfants adoptés ici notamment parce qu'il y a la volonté de casser le cercle infernal des enfants maltraités qui eux même maltraitent leurs enfants etc...

Vous avez donc pu adopter, avant même de vous marier ?
Oui on a adopté deux petits garçons à l'âge de 4 mois et qui ont maintenant 7 ans. Ils sont nés ici à 10 kilomètres de San Francisco. Et c'est tellement commun maintenant que tout est adapté, les écoles par exemple. Sur les formulaires, on ne demande plus les noms du père et de la mère, on demande parent A et parent B. Pareil sur les certificats de naissance. 
Si l'école est adaptée, les regards que l'on porte sur vous le sont-ils aussi lorsque vous vous promenez en famille par exemple ?
Ça c'est extraordinaire parce que quand on a commencé le processus d'adoption, ça me faisait flipper, je pensais que ça allait être un problème. Et finalement pas du tout. Les gens ont beaucoup de fantasmes sur l'adoption par les homosexuels, en particulier des hommes. Il y a toujours l'idée du lien entre l'homosexualité et la pédophilie etc... Mais en fait, quand ces gens voient des couples homosexuels, ils s'aperçoivent qu'on a les mêmes problèmes qu'eux, les mêmes interrogations. ça ne change rien. Nous par exemple, nos enfants nous demandent de temps en temps des nouvelles de leur mère. On leur en donne, ils ont des contacts avec elle, quelques photos de temps en temps et puis voilà, tout se passe bien. L'argument ici pour l'adoption par des couples homosexuels : c'est il vaut mieux avoir des parents que pas de parents, grandir dans une maison dont tu fais partie, dans laquelle on te considère, plutôt que dans une maison où tu sera toujours un enfant de deuxième zone. 


C'est donc la logique de l'intérêt de l'enfant qui prédomine.
Exactement et c'est ce qui manque en Europe où c'est la famille de naissance qui prédomine. Les Américains ont un sens très pragmatique dans leurs lois. Ils veulent résoudre un problème, s'adaptent. Et si ça marche pas et bien on changera. En France en particulier, on vit sur une constitution scellée dans le marbre. On ne change rien et si jamais on finit par changer, les Français sont dans la rue. 
Paradoxalement, l'intérêt de l'enfant, c'est aussi l'argument avancé par les opposants à l'adoption par les couples de même sexe.
 Toutes les études qui ont été faites par des psychologues montrent que les enfants adoptés par un père et une mère ou deux pères ou deux mères grandissent mieux que les enfants placés en orphelinat ou en famille d'accueil. Ici beaucoup d'enfants élevés par des couples homosexuels sont nés de mère porteuse. Et aucune étude ne montre non plus de dégâts psychologiques. Au contraire, ce sont des enfants tellement attendus...
Les opposants assurent que les enfants ont besoin de la présence d'un homme et d'une femme pour se construire.
Alors je prends notre exemple. On est bien conscients en tant que pères que nos
enfants ont besoin de voir des femmes. Donc on s'entoure de beaucoup d'amies, femmes, qui sont comme des tantes, qui viennent les voir, qui s'occupent d'eux. Ils ont des nounous femmes aussi. Ils ont besoin de ce contact pour savoir en quoi les hommes et les femmes sont pareils ou différents. Les pères ou mères qui élèvent des enfants seuls font la même chose, ils s'entourent pour avoir une diversité de contacts humains. On n'a rien inventé.

Vous avez beaucoup évoqué votre situation en Californie. Que se passe-t-il quand vous voyagez, en particulier en France ?
La première fois qu'on est revenu en France avec les enfants, ils avaient 8 mois. J'appréhendais la visite à Paris et la réaction des gens. On n'a eu aucun problème. Des gens se sont arrêtés dans la rue pour nous parler. Dans l'avion pareil, des gens qui nous ont aidé, nous ont posé des questions. Les gens sont curieux mais ça n'a jamais été négatif. Nous venons tous les ans en France et en Europe et nous n'avons jamais eu de problèmes ou de commentaires négatifs.
En France, quels sont vos droits vis à vis de vos enfants ?
On conserve nos droits parce qu'ils sont américains. Mais ils ne peuvent pas obtenir la nationalité française puisque ça reviendrait pour l'état français à reconnaître notre mariage. Quand j'ai demandé des renseignements, on m'a dit que mon dossier allait sûrement se perdre... Beaucoup de Français à l'étranger sont dans la même situation. Ici aux Etats-Unis, je connais 5 couples comme nous. C'est une réalité, soit la France s'adapte, soit elle ne s'adapte pas, mais dans ce cas, moi je ne rentrerai pas. Je me vois mal vivre dans un pays dans lequel mes enfants n'ont pas de droits. En cas d'accidents par exemple pour nous leurs pères, que deviendraient-ils ? Je ne veux pas prendre le moindre risque. Et si rien ne bouge, je pense que beaucoup de jeunes vont faire le même choix de partir, en Espagne ou aux Etats-Unis pour pouvoir se marier, adopter et vivre librement.
Vous n'êtes encore jamais venus à la Réunion avec vos enfants et votre mari à la Réunion. Appréhendez-vous ce moment, comme ce fut le cas pour Paris ?
Alors vraiment je ne comprendrai pas qu'un Réunionnais me dise que je n'ai pas le droit de me marier et d'adopter. Je lui rappellerai qu'il n'y a pas si longtemps, un couple mixte, blanc et noir, c'était très mal vu. L'abolition de l'esclavage, ce n'est pas si loin non plus. Donc les Réunionnais devraient être plus progressistes que les autres et montrer l'exemple à la France métropolitaine. Sinon ça signifie qu'iil y a un gros problème dans la société réunionnaise. On va me parler de la religion. Mais la religion n'empêche pas les Réunionnais de divorcer. Alors ? Cette question, c'est une occasion pour les Réunionnais d'encourager la société française à évoluer dans le bon sens. Ma famille réunionnaise par exemple a très bien réagi. Mon grand-père est pourtant très croyant, il a été dans l'armée, il a fait plusieurs guerres et quand il a su que j'étais homosexuel, que j'allais me marier, il m'a dit : je préfère voir deux hommes qui s'embrassent que deux hommes qui s'entretuent.